3 Une Représentation juste de Paris: l’Avis de Molière sur la préciosité du 17e siècle

Lucie Hopkins

Au 17e siècle, l’image diffusée de Paris était affectée par un nouveau phénomène qui s’appelait “la préciosité.” Cet “art de vivre” était un style de vie qui “se caractérise avant tout par un raffinement extrême du comportement, des idées et du langage” que l’on pouvait pratiquer dans les salons de l’époque (Poncet 2007).

Mlle de Scudéry (1607-1701), auteur de Clélie (10 vols., 1654–61). Source: Madeleine de Scudery (1607-1701) – French School as Art Print or Hand Painted Oil. https://www.art-prints-on-demand.com/a/french-school/madeleine-de-scudery-1607.html. Accessed 25 Apr. 2019

Ce raffinement exclusif dans une certaine mesure définissait Paris, en particulier quand les œuvres bien connues comme Clélie par Mlle Scudéry, Le Grand Cyrus et l’Astrée par Honoré d’Urfé, et La princesse de Clèves par Madame de La Fayette qui développaient l’idée d’une culture précieuse étaient écrites et répandues. L’œuvre intitulée Les précieuses ridicules par Molière suivait celles-ci, en fait avec un ton moqueur qui critiquait la préciosité de ces œuvres précédentes.

Dans quelle mesure est-ce que cette image d’un Paris précieux représente bien Paris comme il l’était ? Est-ce que l’on pourrait avoir une seule représentation d’une ville qui montre précisément l’expérience de toute la ville ? La préciosité, même si elle semble n’inclure que les bourgeois, diffuse une image de Paris qui inclut plus de gens à cause de son but progressif de donner le pouvoir aux femmes parisiennes.

 

Madame de La Fayette (1634-1693), auteur de La princesse de Clèves (1678). Source: Wikipedia

Le mouvement de la préciosité était pour la plupart composée des femmes qui voulaient explorer leurs côtés littéraires et intellectuels dans un contexte social, loin de la conversation masculine de l’Académie. La création d’un espace féminin et intellectuel permettait à ces femmes de redéfinir les limites imposées sur elles, qu’il s’agit de l’intellect, du mariage ou de l’indépendance.

Un salon typique du 17e siècle où les femmes se réunissaient pour avoir des conversations intellectuelles et raffinées. Source: Wikipedia

 

 

 

Par exemple, selon Hélène Poncet, l’auteur d’un aperçu de la préciosité, la conception des précieuses de l’amour met l’emphase sur un amour “épuré, codifié, idéalisé, débarrassé de la grossièreté du désir charnel…on se demande comment le définir et quelle doit être sa place dans la vie” (Poncet 2007). La capacité simple de définir ce qui était l’amour pour les précieuses, de chercher et rêver “d’un sentiment plus pur, d’une amitié où les ferveurs subsisteraient sans la grossièreté du désir” était une sorte de pouvoir sans précédent (Poncet 2007). Leur progressivité ne concernait pas seulement l’amour : elles croyaient aussi que “la femme n’est pas moins capable de raison que l’homme. Elle a droit à la vie intellectuelle et refuse de n’être qu’une épouse” (Poncet 2007). Marquée par le rejet de ces confinements traditionnels, la préciosité caractérisait Paris comme un endroit de progressivité et libération : il a l’air civilisé, intellectuel, avancé.

Cependant, cette “progressivité” n’était pas largement accueillie par le public. Selon Poncet, “les précieuses ont en effet souvent été la cible de la satire : elles sont raillées pour leur jargon compliqué, l’affectation de leurs manières et leur refus de l’amour sensuel” (Poncet 2007). Alors quelques Parisiens adoraient et adoptaient la préciosité pendant que d’autres s’en moquaient activement. De plus, la préciosité n’était pas accessible à tous car elle était marquée par un langage plutôt exclusif : les précieuses “réservent le sens de leurs propos à un groupe restreint. Elles ne peuvent donc se contenter d’un langage ordinaire.” (Poncet 2007) En fait, par la nature de la préciosité, il fallait qu’un certain type de Parisien soit dans le salon : une femme intellectuelle qui connaît celles qui vivent aux salons, qui a le temps de questionner les structures d’amour, qui a le vocabulaire de bavarder avec les autres précieuses.

La pièce de Molière qui s’appelle Les précieuses ridicules (1659) montre deux femmes qui sont bourgeoises et qui adhèrent aux réformes intellectuelles de la préciosité dans leur salon, mais qui ne font qu’imiter la préciosité. L’introduction des hommes faussement précieux dans la pièce révèle leur manque de compréhension de la vraie préciosité.

MASCARILLE : What do you think of my little goose? Do you find it goes with my outfit? CATHOS : Absolutely.                      (from Les Précieuses ridicules) Drawing by Moreau le Jeune, 1772. Source: Wikipedia.

La pièce commence avec leur rejet des deux nobles avec des manières grossières et les attentes traditionnelles, un rejet qu’elles soutiennent avec les notions précieuses :

“Magdelon: En venir de but en blanc à l’union conjugale, ne faire l’amour qu’en faisant le contrat du mariage, et prendre justement le roman par la queue! Encore un coup, mon père, il ne se peut rien de plus marchand que ce procédé ; et j’ai mal au coeur de la seule vision que cela me fait…

Cathos: …je trouve le mariage une chose tout à fait choquante.” (Molière 43-44)

On voit la progressivité perturbante qui marque la préciosité dans la réponse des femmes aux traditions de la féminité–comme le mariage—qui en fait leur valorisait de choisir ce qu’elles veulent faire dans leurs vies. Cela provoque les nobles rejetés à re-rejeter les femmes pour regagner leur pouvoir : ils nomment leurs valets à jouer “une pièce qui leur fera voir leur sottise, et pourra leur apprendre à connaître un peu mieux leur monde” (Molière 36). Cette “pièce dans la pièce” se passe quand les valets des hommes font semblant d’être des hommes précieux pour courtiser les femmes :

“Mascarille: Quelque vol de mon coeur, quelque assassinat de ma franchise. Je vois ici des yeux qui ont la mine d’être de fort mauvais garçons, de faire insulte aux libertés, et de traiter une âme de Turc à More.” (Molière 52)

Le langage de cette citation—en particulier, la dernière phrase–est inventée par le valet pour qu’il semble plus intelligent ou raffiné aux femmes. Bien que ces propos improvisés ne viennent pas du tout d’un raffinement réel, les femmes “précieuses” tombent amoureuses de lui. Leur incapacité de remarquer la fausseté de son intellect diminue leurs prétentions à la préciosité. Alors Molière ridiculise celles qui ne connaissent pas les vrais buts de la préciosité, qui y jouent sans intégrité (les hommes) ou sans conviction (les femmes).

Le film Ridicule (au dessous) donne un aperçu aux types de personnages de l’époque précieuse que Molière critique : les nobles plein d’esprit, mais élitistes au point où la progressivité possible de la préciosité est contrée.

Ridicule. Dir. Patrick Lecomte. 1996, film. Source: YouTube (https://www.youtube.com/watch?v=phZP3FJBFuY)

Le premier homme qui parle montre l’importance de “l'esprit” dans la culture de la préciosité. Avec sa blague, il montre à tous sa supériorité d’esprit qui vient avec la noblesse et la préciosité. Quand l’homme de la campagne arrive, l’homme noble se moque de lui aux autres précieux parce qu’il n’est pas de la cour, alors il faut qu’il soit moins respectable et moins intelligent. Cependant, l’homme de la campagne le surprend avec son esprit–auparavant réservé pour les nobles–quand il fait des blagues astucieuses qui insultent l’homme noble. De plus, il est là non pas pour lui-même, mais pour chercher la justice pour les paysans qui souffrent des maladies dont les nobles s’en fichent. De cette façon, l’homme utilise son niveau de noblesse pour inciter les changements sociaux, pendant que les autres nobles l’utilisent pour gagner la supériorité. Ce manque d’intégrité est pareil à la malhonnêteté que Molière critique dans sa pièce, et il devient clair que les buts de la préciosité sont devenus brouillés dans les frivolités de la noblesse. Comment agir contre cette accumulation de mauvaises manières, l’objectif exacte pour laquelle la préciosité était créé ? La réponse de Molière était assez simple : montrer sa pièce au public.

Selon les critiques de l’époque et d’aujourd’hui, Molière décrit remarquablement les problèmes sous-jacents de la société dans une manière humoristique. Il faut questionner, alors, pourquoi Les Précieuses ridicules, plein de critiques sociales, était si populaire parmi les nobles, dont certains devaient ressembler aux précieux que Molière critiquait. L’écrivain Michael Edwards montre que c’est le sérieux dans la comédie de Molière qui lui donne sa signification attirante : “le vrai Molière, c’est celui qui s’illustre dans la comédie ‘sérieuse’…C’est ainsi qu’il prend place parmi les auteurs universels, pour la plus grande gloire de la France. On met en avant l’habile observateur qui ‘peint avec tant de force et de beauté les mœurs de son pays’…que pourrait-il exister en dehors de la comédie sérieuse sinon une comédie qui manque de sérieux, qui ne s’occupe pas des problèmes de la société et de l’individu [(libertinage, psychologie des anormaux, éducation des femmes)], mais qui ne fait qu’amuser ?” (23). Cela révèle le génie de Molière en écrivant ces pièces critiques et amusantes : en représentant son intellect social d’une manière humoristique, ses pièces attiraient le public exacte qu’elles critiquaient, les précieux qui valorisaient l’intellect et l’humour. Cet attrait direct à ceux qui perpétuaient le problème de malhonnêteté est un essai de la part de Molière d’agir contre les imperfections sociales de l’époque.

Molière participait au mouvement littéraire du “Classicisme.” Un mouvement qui s’opposait au mouvement du Romantisme, il était caractérisé par un ensemble de critères qui valorisaient l’idéal de “l’honnête homme” et accordaient de l’importance à la recherche de la perfection. Selon une analyse du classicisme par l’écrivain Aron Kibédi Varga, “la littérature classique n’est pas affaire de l’individu, mais de la collectivité : elle ne s’adresse pas à l’homme privé, elle parle des problèmes, elle soulève les questions qui touchent la société tout entière et non seulement la société française : le classicisme prétend à l’universal” (Varga 1068). Les problèmes enracinés dans la préciosité représentent tous une sorte de maladie sociale, un vaste manque d’intégrité qui est bien sûr loin de la perfection idéale du classicisme. Par sa pièce, Molière fait un appel plus grand à un rejet social de la malhonnêteté. Cela transforme une leçon de la préciosité à une leçon pour tous les citoyens de Paris, rendant la préciosité encore un mouvement plus universal qu’exclusif.

Peasants Playing Cards, tableau par Norbert Van Bloemen. Quelles types de conversations auraient-ils ces paysans ? Peut-être qu’ils exploraient leurs côtés intellectuels tout comme les précieux. Source: public domain

Cependant, à cause de son exclusivité et progressivité inquiétante à l’époque, la préciosité dans sa forme fondatrice n’était pas encore accessible à tous. Pour les citoyens (en particulier pour les femmes) qui aimaient l’idée de la préciosité mais qui ne vivaient pas la vie noble dans laquelle la préciosité prospérait, il fallait avoir un autre moyen de poursuivre les rêves que les vraies précieuses réalisaient. Pour accéder à la nouvelle “progressivité” de Paris, il fallait qu’elles imitent les précieuses des salons de Mme de Rambouillet pour créer leurs propres salons de discussion. Est-ce que Molière critique ces gens qui trouvaient leur propre forme de la préciosité ? S’ils connaissent les buts de la préciosité–le “raffinement extrême du comportement, des idées et du langage”–et s’ils les suivent, l’intégrité du mouvement ne sera pas corrompue et leur préciosité peut être aussi valide que celle des salons nobles. On peut dire que la nature de la préciosité se trouve dans le luxe et les coutumes des salons et on ne peut pas avoir la vraie préciosité si on n’a pas ces éléments. Mais si la création de la préciosité était un essai de la part des femmes de s’infiltrer dans une partie de la société à laquelle elles n’appartenaient pas encore–les espaces intellectuels– et elles avaient dû créer cet espace pour elles-mêmes, quelle est la différence entre cela et l’essai des “faux précieux” d’être pareil ? Si la “vraie” préciosité n’est qu’une exploration des parties de la vie auparavant inaccessibles, la “fausse” préciosité n’est-elle pas la même que la “vraie ?” Peut-être que la préciosité est la représentation parfaite de Paris parce qu’elle révèle le binaire traversable entre les “vraies” et “fausses” expériences de vivre à Paris.

La préciosité a commencé comme un mouvement des changements progressifs : le rejet des vieilles traditions opprimantes, le rejet des manières grossières, l’acceptation et l’exploration de son côté intellectuel. Néanmoins, rapidement la préciosité est devenue une compétition exclusive aux nobles, ou l’ignorance délibérée des autres outre la cour gagne sur la conscience sociale et même la gentillesse. Bientôt, la préciosité était grossière comme la culture de laquelle les précieuses originales voulaient s’échapper. En voyant cette situation sociale désastreuse, Molière appelle à l’action non seulement les précieux, mais en fait tous qui regardent la pièce d’être plus honnête pour contrer la spirale infernale sociale. Tout cela implique qu’un mouvement social ne peut pas être exclusif à la haute société, car il deviendrait enraciné dans les frivolités qui ne s’appliquent qu’à cette petite partie de la société. N’inclure qu’une partie de la société dans un mouvement culturel et social, cela n’incitera jamais les changements vastes sociaux. À la place, il faut inclure tous les citoyens de la société, ce que Molière tentait de faire sous le nom et l’expérience de la préciosité.

Key Takeaways

  • “La préciosité” was a 17th century movement within the court of the king Louis XIV that sought to emphasize refinement, wit, and intellect among the members of the court, particularly the women that previously had no other environment in which to explore their wit and intellect. In this way, la préciosité can be seen as a rather progressive movement for the 17th century, as it empowered women to come together and develop their intellectual sides when not given the environment to do so.
  • In his play Les précieuses ridicules, Molière criticized la préciosité not for its progressiveness or empowerment of women, but rather for the aimless “bouffonnerie” that those who did not understand (or care to understand) the real goals of the movement endorsed.
  • By creating a socially intellectual, witty play, Molière attracted the exact people whose movement he analyzed, “les précieux.” In this way, he was able to expose his specific social criticism to the group of people who could take meaning from it and change accordingly. This call to social change stems from Molière’s affiliation with classicism, which seeks perfection on a social rather than individual level.
  • Through the popularity of Molière and Les précieuses ridicules in 17th century France, la préciosité may have become more of a mindset of choosing to create an environment of progressiveness and personal change rather than the strict wittiness and refinement seen in the court of Louis XIV which it began as. The endorsement of personal development and progressive mindsets may have set the scene for the revolutionary nature of the 18th and 19th centuries in France.

Reflection Activity

Using what you’ve learned from this chapter, think about and discuss critically the following questions:

  • What might Molière have been critiquing about la préciosité if not blind or ungrounded participation in it? Could there have been a larger criticism he was making concerning la préciosité and its goals or values? If so, what might those have been?
  • What other movements can you think of that started small with the intention to defy current cultural norms? How were they similar to or different from la préciosité in both intention and outcome?
  • What do these similarities or differences imply about the impact of the sociocultural and historical contexts of a movement?

BIBLIOGRAPHIE

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Desmolets, Pierre-Nicolas. Continuation des mémoires de littérature et d’histoire de Mr. de Salengre [par le P.D. et l’abbé Cl.-P. Goujet]. Nyon fils, 1749.
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Varga, Aron Kibédi. “Réflexions Sur Le Classicisme Français: Littérature et Société Au XVIIe Siècle.” Revue d’Histoire Littéraire de La France, vol. 96, no. 6, 1996, pp. 1063–68. JSTOR.
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